Sens dessus dessous

En Japonais, les caractères utilisés pour signifier « sens dessus dessous » signifient bouger et tomber. En fait, ce fut l’inverse. Je suis tombée et j’ai bougé. Voilà ce qui se passa en réalité. Le 18 décembre de l’année dernière, après mon travail, je suis tombée dans la neige. C’était le jour où j’allais à l’école pour recevoir le bulletin de mes enfants.

Le temps était clair après qu’il eut neigé. Mon travail étant terminé,  je me sentais légère. Jetant un coup d’œil vers le ciel bleu, je me préparais à partir. Je choisis mes bottes spéciales, achetées au quart du prix normal à Courchevel lors du séminaire d’été, doublées de fourrure, elles étaient chics et chaudes.

J’assortis ma jupe et tous les accessoires, ce qui était inhabituel de ma part. Ce l’était tout autant de proposer de faire tout le chemin à pied, ce qui devait prendre 30 minutes, mais le temps était si beau malgré la neige qui rendait les rues glissantes. Ma fille me suggéra de prendre le bus. Je glissais tous les trois pas.

Ma fille s’inquiétait et dit « C‘est dangereux, tiens-toi à moi » et je répondis « mais non tout va bien ». Qui est la fille et qui est la mère, c’est parfois difficile de le dire, non ?

Nous marchions depuis 20 minutes et rencontrions de plus en plus de parents. J’ignorais qu’au niveau de l’école supérieure il y avait autant d’étudiants et d’amis de ma fille. J’étais sur le point de me retourner pour saluer les amis que ma fille me présentait. Et je tombai très mal. Au moment même, je ne savais pas ce qui se passait.

On dit que si quelqu’un tombe du haut d’un bâtiment, il voit défiler sa vie en un instant. Ce que je ressentis était à peu près pareil. J’avais l’impression de regarder un film pendant une fraction de seconde, puis je vis le ciel bleu.

Je réalisai que, dans ma chute, je m’étais cogné l’arrière de la tête.

J’essayais de me relever, mais je ne savais pas comment y parvenir. Je me rendis compte que je fronçais les sourcils de mal. Une mère qui était près de moi demanda «Est ce que tout va bien ? Puis-je vous reconduire à la maison ? » Je répondis que tout allait bien car je pensais pouvoir me relever et partir de là immédiatement.Ce ne devait être qu’une question de quelques minutes.

Je gémis en me relevant, je ne sais comment, me mis debout et commençai à marcher. Ma fille prenait cela très au sérieux et téléphona pour trouver quelqu’un qui me ramènerait à la maison.

Retournons vers la route principale, dit-elle. Elle téléphona : « Papa, peux-tu venir ? » Papa répondit qu’il ne savait pas venir car la route était trop glissante pour pouvoir rouler. Elle cria « Papa, viens ici de toute façon ».

Toutes les routes étaient gelées après les chutes de neige des jours précédents et les gens étaient partout pris de panique. Michiko me tenait et me donna désespérément un Yuki (traitement manuel). Je ne puis oublier la sensation agréable du yuki que Michiko fit sur mon front, c’était comme une brise.

Je sentais la douleur du choc passer du côté gauche à l’arrière de ma tête au côté droit de mon front. Mais, après quelques instants, je sentis un soulagement et commençai à respirer normalement.

Finalement mon mari arriva et, voyant mon extrême pâleur, réalisa aussitôt le sérieux de la situation. Il essaya bien de plaisanter pendant qu’il roulait lentement mais Michiko s’irrita de ce comportement stupide en disant « Papa tais-toi ». Dans la voiture, elle appela le Japon. Il me semblait entendre du Japonais. Michiko demandait à ma sœur que son mari puisse donner des conseils, M. Kaneko étant un guérisseur Seitai.

Les actions de Michiko après furent impressionnantes. J’appréciais le fait d’avoir élevé mes enfants avec la méthode Noguchi Seitai. Elle me ramena à la maison, laissa me changer, me mit au lit et ferma tous les rideaux. Elle me dit « Maman pas de lumière pendant 4 jours ! »

Elle me traita par Yuki. D’abord sur la huitième vertèbre dorsale, ensuite sur le sommet de la tête et le coccyx.

Quand je fus relaxée, je réalisai la gravité de la situation même si je respirais normalement et ne ressentais plus aucune douleur. Il me revenait à l’esprit « le pouls et la respiration ». J’avais l’expérience de plusieurs chutes de mes enfants sur la tête. L’événement le plus récent étant une chute de mon fils devant moi alors que j’essayais de le photographier. C’était l’année dernière à Courchevel, dans les Alpes françaises. Il est tombé sur le béton à côté d’une espèce de trampoline, plus haute que lui. J’ai juste eu le temps de réaliser qu’il tombait sur l’épaule mais il se releva immédiatement. Je l’ai soutenu en remontant la montagne vers un hôtel. J’étais seule et j’étais folle d’inquiétude. J’avais également assisté au cas d’autres personnes.

Quid à mon sujet ? Mon unique expérience était une chute d’une barre horizontale alors que j’étais en troisième année de l’école primaire et j’allais en connaître les conséquences. J’étais tombée lourdement sur mon coccyx et ne savais plus prononcer un mot. Cela c’était passé au crépuscule et j’ai eu du mal à le cacher à ma famille.

Dans le cas présent, je contrôlai mon pouls immédiatement. Il n’était pas trop rapide, environ 60, mais il n’était pas trop lent non plus. Lorsque le pouls faiblit et que l’abdomen se creuse, comme la quille d’un bateau, on dit qu’il y a danger. Alors que je m’étais cogné la tête, cette information me revint à l’esprit comme si un tiroir s’était ouvert. Lorsque je suis tombée, je transpirais abondamment à la tête et au cou. Cette sueur était froide, mais la journée était froide aussi. Je me rappelle avoir essuyé ma transpiration pour ne pas avoir froid, mais je me sentais légèrement malade sans le laisser paraître parce que des gens nous regardaient.

Le traitement de ma huitième vertèbre dorsale  me relaxa en facilitant le flux d’interaction entre le sommet de la tête et le coccyx.

De la maison, nous avons téléphoné à mon fils. Il était sorti avec des amis pour recevoir son bulletin. Rentré, il tenta comme un forcené de me traiter également par Yuki. Son Yuki, au centre de ma colonne vertébrale fonctionna très bien.

Mes enfants ont réfléchi à la situation quelque temps puis sont ressortis pour aller chercher leur bulletin. La nouvelle que la maman de Samon et Michiko était tombée se répandit dans toute l’école.

Je me mis dans une chambre noire comme un animal blessé, évitant ainsi divers commentaires tels que « Avez-vous été à l’hôpital ? » « Cela peut être dangereux si vous ne passez pas un EEG » « C’est juste comme attraper un rhume ! »

Je tournais et retournais ma main sur l’estomac. La seule chose à faire était de laisser passer le temps. Je n’avais envie ni de musique ni de livres.

Le temps passait sans me paraître long. Je dormais tout simplement.

Le lendemain avait lieu un concert de Papa. Il devait diriger la messe en si mineur de Bach. J’aurais voulu y aller, mais j’ai demandé à mes amis d’y emmener nos enfants.

Restant dans le noir jour et nuit, la notion du temps devenait confuse. Si mon cerveau semblait bien fonctionner, il était trop tôt pour envisager d’utiliser mon PC, mais je pouvais m’adonner à la lecture. J’ai ainsi commencé à lire sans plus pouvoir m’arrêter. J’ai lu en quatre jours les quatre volumes de « L’homme du Destin » de Toyoko Yamazaki même si ce n’était peut-être pas très judicieux d’user autant ma vue.

Mon beau-frère, M. Kaneko, donnait des instructions tous les jours. Mes enfants les mettaient en pratique. Mais je cherchais également par moi-même de retrouver la forme.

J’ai commencé à écouter des CDs après m’être demandé lesquels choisir. Mais, me fatiguant, j’ai commencé à m’angoisser. Et dans ce cas, je pense « Je pourrais mourir ainsi » puis « Si c’est le cas, je l’accepterais, mais avant cela que ferais-je ? ». La seule question réaliste était peut-être « Que faire si je perdais la mobilité de mes doigts ? »

Pendant ce temps, je me suis rappelé avoir reçu plus de dix ans auparavant des CDs de Rakugo de Katsura Sanshi, accompagnés du commentaire « amusant ». Je ne les avais pas encore écoutés pensant que sa voix rauque serait désagréable. J’ai alors essayé. « Bien ! » Golfi Korufu, la Restauration Meiji, l’aube du Japon et le conte de Mozart. Je me suis mise à rire toute seule dans l’obscurité. Tout le monde aurait pu penser que je devenais folle. C’était vraiment bon pour se remonter le moral.

Mon état évoluait-il après quatre jours et après une semaine ? Etais-je redevenue ok ?

Le monde entrait dans la période de Noël.

Tentant de participer quelque peu aux préparatifs de Noël, le temps me semblait long. Il valait mieux laisser ces choses à d’autres car je me fatiguais encore trop vite.

Dix jours passèrent. Bien que pensant être rétablie, j’éprouvais des vertiges en me levant. Mis à part le mal des transports je n’avais jamais ressenti cela. C’était embarrassant car je devais me lever lentement et précautionneusement.

Il restait trois jours avant le Nouvel An.

  L’ostéopathie est proche du Noguchi Sentai. J’avais en mémoire une personne qui connaissait un ostéopathe, en la voyant je m’en souvins. Je téléphonai aussitôt à ce médecin et allai le voir. C’était un homme âgé proche de la septantaine. Il m’examina et demanda que je prenne diverses positions qu’il testait « Levez vous, levez les bras et respirez ».

C’était juste comme si j’étais analysée par une machine qui prenait des mesures. Il leva la main et toucha ma colonne vertébrale et ma taille. Puis il décréta : « Vous êtes OK. Vos nerfs sont un peu trop sensibles. Cela disparaîtra dans 24 heures. Si ce n’est pas le cas, je vous reverrai dans deux jours». Cela me réconfortait ayant eu l’impression de me battre toute seule. Après cette séance, je suis même partie faire du shopping avec Michiko.

Le Nouvel An arriva après toute cette agitation. J’organisai une réception, invitant mes étudiants. Je devais être folle car j’aurais dû m’en abstenir. Aurais-je cherché des compensations ? A minuit, en regardant le feu d’artifices démarrer, j’ouvris les bouteilles de champagne.

Le 5 janvier, je m’envolais pour le Japon. Mes vertiges avaient disparu. Je me sentais bien malgré le fait de me trouver dans une file anormalement longue au contrôle de sécurité. A ce moment, je me suis dit « Ce serait quand même problématique si, ici, j’étais prise de vertiges »

Au Japon, j’ai demandé à M. Kaneko de s’occuper de moi. J’avais, en effet, déjà bénéficié d’une expérience positive pour nous quatre avant cela. Et en réalité, c’était très sérieux.

M. Kaneko constata qu’une évolution favorable avait compensé le dommage subi. Des parties de mon corps s’étaient débloquées à la suite du choc subi. Ces blocages dataient d’il y a 5 ans, en tombant lorsque je faisais du ski. J’avais essayé une descente en ligne droite, ce dont je n’étais pas encore capable. Parmi divers inconvénients, cela avait provoqué l’élongation d’un ligament du pouce droit, celui-ci étant coincé dans la boucle du bâton de ski. Ce problème sera surmonté par un traitement m’apprenant à utiliser mon corps différemment. Après quelques mois, le blocage de ma septième vertèbre s’était relâché, c’était une délivrance.

Cette fois, j’étais contente comme si j’avais été récompensée quand il m’a dit « vous avez eu quelque chose de grave, mais vous compensez très bien et vous en bénéficierez ». Néanmoins, je me sentais encore faible car je me fatiguais vite.

Alors que j’étais encore au lit suite à mon accident, je devais m’occuper d’un récital au Bunkakaikan. C’était la première conférence associée à un récital. Je devais donc y prendre la parole et j’écrivais le brouillon dans mon lit.

Etant au Japon, le jour du récital mon manager m’appela à maintes reprises. C’était Inattendu puisque nous étions convenus de nous rencontrer endéans les quelques heures. Pourquoi tant de hâte avant cette prestation importante ? Il me dit « Pourriez-vous jouer le concerto de Beethoven au concert d’abonnement prévu au NHK dans 5 jours ? »


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Un NON soudain me vint à l’esprit. Tout mon corps s’était tendu. Beethoven, je ne l’avais plus joué depuis 5 ans ! Avec l’orchestre symphonique NHK ! En 5 jours ! Mon manager me dit que je n’étais pas obligée de le faire. Il devait penser qu’il serait préférable de préparer une œuvre aussi importante avec soin dans de meilleures conditions. Je connaissais tous les facteurs négatifs. Le remplaçant serait jugé sur la qualité de sa prestation sans tenir compte de son temps de préparation. Mais, mais, mais, malgré cela, je voulais jouer.

Sens dessus dessous, je suis tombée et j’ai bougé. C’était une sorte de symbole pour cette année. Encore au lit, je pensais que le mot caractérisant l’année prochaine serait « bouger », qui s’écrit en combinant les idéogrammes lourd et puissance. J’avais l’impression de soulever quelque chose de lourd, mais cela répondait le mieux à mes sensations. Toutefois, je ne comprenais pas pourquoi j’avais choisi ce mot particulier, lourd de sens alors que j’étais au lit après une blessure.

Mais je n’aurais pu rêver d’une telle chose. On ne sait jamais ce qui se passerait après.

Peu de temps après, la terre se fâcha, un volcan islandais entra en éruption. Celle-ci débuta en février et empêcha le trafic aérien jusqu’au mois d’avril, les vents arrêtant de disperser les cendres volcaniques de la stratosphère.

En plaisantant, ce que plusieurs connaissances n’apprécieraient peut-être pas, je dirais « c’est la revanche de l’Islande vis-à-vis de l’Europe qui a poussé les banques islandaises à la faillite l’an passé ».

Que ferai-je à cette époque l’an prochain ?

J’ai peut-être écrit la même chose dans ma note relative au Néerlandais, mais je ne m’en souviens plus.

L’oubli permettrait-il de redécouvrir les choses et de leur rendre de la fraîcheur ? Il y a beaucoup de tiroirs dans le cerveau et il suffit qu’un seul se rouvre en rappelant quelque chose d’utile, lorsque le besoin s’en fait sentir. La conclusion que je tire de tous ces évènements est que le « corps est capable de rouvrir ces tiroirs ».

le 9 mai 2010
Bruxelles
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