Tombant du ciel
Nous ne pouvions rentrer en avion à cause des cendres projetées dans le ciel par un volcan Islandais. Le 17 avril, nous étions mes enfants et moi en vacances de printemps au Japon. C’était la première fois depuis un an et demi.
Le 5 avril, après avoir terminé toutes mes obligations, j’avais été recueillir à l’aéroport de Narita mes enfants qui, pour la première fois, voyageaient seuls en venant d’Europe.
Une semaine fut nécessaire pour effacer leur décalage horaire. C’était aussi difficile pour eux que pour moi. Je voulais leur faire apprécier de nombreux plats et leur faire plaisir. Mais, rien ne plait lorsque l’horloge interne de votre estomac indique 4 heures en fin de matinée. Sashimi, misoshiru, tonkatsu ne peuvent dans ces conditions s’apprécier. Délicieuses ou pas ces nourritures vous tombent alors sur l’estomac.
Sans se préoccuper du syndrome de « jet lag », de nombreuses personnes souhaitaient nous rencontrer mais pour arranger les agendas il fallait tenir compte des enfants. Tout le monde nous souhaitait la bienvenue. Lorsqu’elle avait 6 ans, Michiko avait passé un mois en classe d’été au Japon. Des enfants qui l’avaient fréquentée sont venus nous voir également. Ils sont maintenant en première année d’école supérieure.
Je pensais qu’après autant d’années cela rendrait leurs contacts difficiles mais je fus ravie de constater qu’il n’en était rien. Ils se promenaient ensemble en rue et bavardaient entre eux dans le living de ma maison.
Je m’inquiétais du comment ma fille allait se débrouiller en japonais, or elle semblait s’en sortir honorablement. Et je me fis la réflexion, en tant que parent, qu’ils ne la traitaient pas comme une étrangère.
C’était le printemps. Les tempêtes de ce mois d’avril furent soudain remplacées par un magnifique temps printanier mais froid. Nous grelottions de froid n’ayant pas emporté nos habits d’hiver. Toutefois la fraicheur de l’air et la beauté de la verdure renaissante compensaient le fait qu’il n’y avait pas de moustiques. Nous ressentions la beauté de la nature renaissante.
Lorsque j’ai entendu pour la première fois l’annonce que les aéroports étaient fermés, je l’ai pris à la légère. J’ai pensé “chouette je vais avoir quelques jours agréables supplémentaires”. Mais ce sentiment changea rapidement vu que cette situation perdurait déjà depuis 2 à 3 jours. Aux renseignements, le téléphone ne répondait plus. Il devenait clair qu’il ne serait pas possible d’avoir des prévisions quant à la reprise des vols. Tout le monde s’inquiétait pour nous. « Comme cela doit être difficile. Qu’allez-vous faire ? » Mais nous ne pouvions rien faire !!
Mes enfants, qui devaient retourner à l’école le lundi, appréciaient ce congé inattendu et inévitable mais malgré tout s’inquiétaient de ce que leurs condisciples allaient reprendre les cours. Ils devenaient nerveux et communiquaient fréquemment par e-mail. Je me suis dit que, vis-à-vis d’eux, il valait mieux ne pas montrer que cette situation me faisait plaisir. Cela dit, il semblait que de nombreux enfants étaient dans la même situation et n’avaient pu rentrer chez eux.
Toutefois, lorsqu’une telle cette situation s’éternise on finit par penser à différentes possibilités de s’en sortir. Si nous devions rester au Japon, je devrais trouver un travail et des écoles pour mes enfants. Nous devrions oublier la période où venant et repartant en avion, j’avais gagné ma vie au cours des 30 dernières années. Je serais immobilisée comme toutes les personnes naturellement affectées par une éruption volcanique. L’Europe est si lointaine.
Lorsque leur décalage horaire fut résorbé , mes enfants s’adaptèrent à leur environnement. Ils se mirent à parler japonais ce qui fit que tant mon élocution que ma pensée devenaient plus fluides.
Je n’avais jamais été à l’étranger avant l’âge de 22 ans. Ainsi mon anglais, mon français ou mon néerlandais, dernièrement appris à 50 ans, sont loin d’être parfaits. Cela influe sur le mouvement des mains et des doigts directement régi par le cerveau, leur contrôle est meilleur en pensant en japonais qu’en importe quelle autre langue.
Je ressens toujours un complexe d’infériorité ou un sentiment d’inadéquation en vivant à l’étranger. En développant ma carrière, en me mariant et en me préoccupant de ma famille, je pense que peut être je n’étais pas assez prête ou assez engagée. C’est en tout cas ce que je ressens.
En projetant ses cendres dans le ciel, ce volcan islandais effaçait toutes ces pensées. C’est un phénomène naturel contre lequel personne ne peut lutter ni se plaindre. Au milieu de ces réflexions, j’appréciais ce vide soudain. Je me sentais pleinement relaxée, mentalement et physiquement, dès que ma sœur m’ait annoncé que les vols avaient été supprimés.
Selon mon mari le ciel était bleu, sans nuage, et aucun avion ne survolait Bruxelles. C‘était inhabituel. Dans notre résidence bruxelloise située au dixième étage, on voyait fréquemment des avions et leurs trainées. La limpidité du ciel à Bruxelles arrive très rarement. Et dire que dans les journaux le cratère éruptif ressemblait à un squelette.
Je me remis à penser. En période de guerre on pourrait songer prendre un bateau puis le train transsibérien. Mais la maison de ma mère est tellement confortable que je ne pouvais envisager ce mode de retour en Europe. Evidemment, nous étions en train de perturber la vie calme de ma mère et de ma sœur. Mais, malgré ces perturbations, cette situation était sans comparaison avec l’inconfort qu’aurait induit des jours passés à l’aéroport. Il fallait l’éviter à tout prix. J’ai en effet connu pas mal d’expériences pénibles lors de vols annulés dans divers aéroports et ce pour différentes raisons dont entre autres des grèves. J’ai peine à imaginer combien la vie devait être difficile pendant et après une guerre.
Il y a différente façon de passer son temps. Tout dépend de l’état d’esprit. Je peux chaque jour apprécier simplement de voir la verdure de beaux arbres mais aussi l’absence de concerts ou d’étudiants. Et puis j’étais avec mes enfants.
Non, ce qui pour moi tombait du ciel n’était pas des cendres mais des vacances imprévues.
Nous avons été voir Kabukià Shinbashienbuiyo. Dans la brise tiède du printemps nous nous sommes promenés le soir dans Ginza. Le jour suivant, la suppression de notre vol, a permis la rencontre imprévue d’amis. A bord d’un bus maritime, les paysages de Tsukiji, Hamarikyu et Asakusa se déroulaient sous nos yeux. Chaque fois que je traversais le pont arc en ciel je pensais que je n’aurais plus le plaisir de revoir la baie de Tokyo en bateau. Le paysage que je voyais d’habitude du haut du pont, et celui du pont arc en ciel vu de la rivière ne firent plus qu’un dans ma mémoire.
Que Tokyo est beau !
La floraison des cerisiers
le long de la rivière Sumida était terminée. On voyait le sillage de cinq carpes nageant paresseusement avec la Pagode à cinq étages se découpant en arrière plan.
Et, dans ces instants, Michiko venait d’avoir 16 ans. A cette occasion et ce pour la première fois elle s’est promenée en kimono sur l’herbe fraiche.
Nous sommes rentrés à Bruxelles une semaine après la date prévue. Mes enfants paraissaient ravis d’avoir bénéficier de la suspension des vols.
Un jour de congé est un jour de congé.
La vitesse d’un avion induit sur de longues distances des décalages horaires qui affectent les réactions humaines. Après un voyage entre le Japon et l’Europe on le ressent évidemment et un être vivant à un besoin d’un temps d’adaptation.
Cet espace temps est ennuyeux car on se sent trop fatigué pour se concentrer sur quoi que ce soit. Cela prend au moins 4 jours et parfois une semaine pour retrouver des sensations normales. J’ai besoin de marcher et de mobiliser mon corps pour m’habituer à un endroit.
J’ai été à un marché dominical après un long moment. En rencontrant des connaissances elles me disaient « Vous êtes de retour, vous avez eu de la chance de pouvoir prolonger vos vacances ». Alors qu’au Japon les personnes me disaient « Je suis désolé que vous ne puissiez rentrer » et elles sympathisaient en partie en vertu de la fidélité japonaise.
Maintenant ma vie a repris
Bruxelles