Le syndrome du nid vide

Je me sens comme si j'étais au sein d'un nid vide. Je n'avais jamais imaginé une telle sensation. C'est un fait que ma vie fut une répétition continue d'allées et venues qui ont induit un sentiment de solitude et un vide d'affection à chaque occasion.

La fatigue que je ressens lorsque je donne cours est différente de celle que j'endure pendant un concert. Mais dans chaque cas lorsque je rentre à la maison, j'aspire à quelque repos. En lieu et place je suis confrontée à des requêtes pressentes de ma fille.
"Maman, puis-je aller chez Ewald pour dîner ? "
"Quoi ? mais je rentre à peine"
"Oui, mais je voudrais jouer avec elle. Pourrais-tu venir me rechercher plus tard ? "
"As-tu terminé tes devoirs ? "
"Oui, bien sûr"
"Bien, alors vas-y"
" . . . "

"Maman, je sors pour promener le chien avec mon amie pendant environ une heure"
"Fais attention. Il y a des personnes mal intentionnées qui sévissent ces jours-ci"
". . . "

Lors d'un concert de mon mari avec son orchestre Charlemagne, je lui demande
"Veux tu que je t'accompagne ? "
"Non, ne le fais pas, tu me rendrais nerveux'
". . . "

Pour le meilleur ou pour le pire, chacun est tellement indépendant !
Je suis absente de la maison plus que tout autre dans ma famille, mais quand je suis chez moi je suis toujours celle qui finit par rester seule.

Alors j'écoute un CD reproduisant un de mes concerts pris en direct et prête attention à une prestation de l'année passée. "Est-ce que c'était vraiment comme ça ? ".
Je suis toujours déçue, réalisant qu'à cet instant je ne puis plus l'améliorer.
"Je devrais avoir jouer cette oeuvre différemment". "Ah, pourquoi ais-je jouer comme cela ? ". A en juger par ce CD, cela aurait pu être meilleur si cela avait été enregistré en studio et ce, même si cette prestation fut prise en direct. La mode a développé une passion pour les prestations en direct. Cela pousse les auditeurs à rechercher les imperfections.

Je suis reconnaissante lorsqu'un auditeur ressent mon affinité et mon respect pour une oeuvre, c'est, finalement, la chose la plus importante.
L'année dernière j'ai changé l'épaulière de mon violon. Je l'utilisais depuis très longtemps. Cette pièce n'était pas dure ou haute lorsque j'ai commencé à jouer mais elle s'est aplatie au cours des 30 années d'utilisation. En la changeant, j'ai immédiatement noté une incidence sur la sonorité du violon mais aussi sur les déplacements de ma main gauche. Je veux adapter le mieux possible le violon avec mon corps. Je peux mieux qu'avant entendre l'incidence des réglages. Néanmoins, à présent ma main gauche doit plus participer au maintien du violon ce qui peut augmenter la charge du bras. Assez curieusement le bras gauche est devenu plus sensible à ce paramètre. La main droite pourrait ne pas avoir été utilisée complètement jusqu'ici. Il y a une méthode d'apprentissage pour permettre de jouer plus aisément.
Cette recherche poursuit un objectif premier : élargir ses potentialités.

En modifiant l'épaulière je peux plus facilement changer la sonorité du violon. J'étais toutefois un peu inquiète lors d'un premier concert qui suivit avant de recevoir le commentaire de mon partenaire. "D'une certaine manière, tu joues plus librement et de manière plus expressive qu'avant". C'était Jean-Marc Luisada qui me donnait cet avis.

Lui aussi a changé sa méthode. Il dit qu'il a décidé de jouer en regardant la partition tant en récital que lors de concertos. Il y a longuement réfléchi après avoir vécu de nombreuses erreurs et est arrivé à la conclusion que, pour lui, il pouvait de cette façon mieux se concentrer sur la musique.

Par contre, El Bacha joue lui sans partition, c'est bien connu, et ce même dans les sonates pour violon de Beethoven. Bien que je n'en aie pas pris l'habitude, j'ai essayé de jouer sans partition pour voir si moi je pouvais mieux me concentrer sur la musique. C'était un peu stressant car c'est différent du cas des concertos. Mais, en tout cas, de cette manière nous avons pu jouer en parfait accord des passages difficiles dès la première répétition. Avant, nous devions normalement recommencer de nombreuses fois pour atteindre un ensemble satisfaisant où subsistaient malgré tout des difficultés. Nous jouons en ressentant l'un et l'autre des sensations réciproques. C'est un autre cas où accepter une autre méthode fonctionne parfaitement.

Lorsque je pense à mon nid vide, mon esprit se remplit rapidement de pensées musicales et dès lors ce n'est plus du tout un problème.

Mars 2008
à Bruxelles
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