De l’importance de la décontraction.
L’année passée a induit une suite de problèmes. La saisie de mon violon à l’aéroport de Francfort et les discussions pénibles qui s’en suivirent tant avec des avocats qu’avec les douanes constitue évidemment la source principale.
Outre le fait de devoir négocier pour récupérer mon violon dans des langues qui me sont étrangères une conséquence fut de devoir m’adapter à un violon emprunté temporairement. Il fallait m’y adapter pour pouvoir en tirer le meilleur son possible. Mais, cette gageure étant réussie, mon violon me fut restitué. Cela a entraîné derechef une nouvelle période d’adaptation.
Ces changements induiront des tensions musculaires vraiment inconfortables. Mon corps semblait avoir perdu ses fonctions originelles. . Cette situation persistait à l’approche de la nouvelle année 2013.
Maître Roy professant la technique Katsugen-Kai et Maître Kaneko, mon beau-frère, m’ont donné leurs avis quant à cet état. Le premier m’annonça qu’une contracture au niveau de l’épaule s’était produite et partirait difficilement. Le second disait qu’une première vertèbre thoracique avait été énormément sollicitée durant cette fin d’année.
Et l’année 2013 arriva …
Au premier jour de l’an neuf, trois générations de ma famille bénéficiaient d’une promenade relaxante le long de la rivière. C’était un jour béni. Dans le bleu du ciel volaient des aigrettes et d’autres oiseaux sauvages. C’était un paysage de carte postale typiquement japonais. Bien que mes enfants attendaient de profiter des soldes, nous profitions ensemble d’un air vivifiant et pur.
Le 3 janvier, il était prévu que je joue du violon après une séance de Katsugen-Kai (groupe du mouvement régénérateur).
Allant vérifier le matin l’acoustique et la disposition des lieux, il y régnait un froid glacial et sec à tel point que sur l’estrade, ma plante des pieds ressentait un froid intense. Jouer sur le tatami permit de l’éviter. Pendant la matinée, le groupe se préparait avec entrain pour la séance de Katsugen-Kai, cela créait une réelle atmosphère de nouvel an. Mais ma préparation a fait qu’ils furent obligés de patienter 5 minutes supplémentaires.
Après quoi je suis retournée chez moi….
Je suis revenue dans cette salle vers 17 heures au moment où les participants du Katsugen-Kai terminaient leur séance par un exercice de respiration synchronisé.
Une “pièce verte” comportait heureusement un chauffage correct. Elle permettait de se changer et d’attendre confortablement mon entrée en scène. Dans cette pièce, sur des étagères en bois, étaient présentés des disques qui me rappelaient ceux de mon enfance. Ils étaient si semblables à ceux que possédait ma famille que cela me rendit nostalgique.
La séance de Katsugen terminée un groupe de personnes dégustait du thé à l’étage. Le brouhaha de leurs conversations énergiques me parvenait comme un bruit d’oiseaux. Cela me réjouissait.
Maître Roy m’appela et me présenta au public. Lorsqu’il parla de ma famille … qui n’était pas là … un mélange de sentiments m’envahi. J’aurais préféré qu’ils soient présents mais je connaissais les raisons de leur absence.
Après cette présentation, je me suis mise à jouer.
J’ai débuté par l’Adagio de la sonate n°3 pour violon seul de Bach dont le début est terriblement difficile. Après avoir, sans erreur, maîtrisé les premières mesures, j’éprouvai un ouf… de soulagement. Je pouvais dès lors me concentrer sur la musique. Comprenez-vous cette sensation?
J’admire profondément le Contrepoint et l’Harmonie de Bach. Dans la fugue du second mouvement, il crée tout un univers alors qu’il n’utilise qu’un seul instrument, le violon. Bach composait seul dans une petite église de Köthen. Quel univers fut engendré par ce génie !! Intelligence, philosophie, et spiritualité … tout y est contenu.
Le troisième mouvement de cette sonate est un très beau « Largo ».
En étant étudiante, j’avais tendance à jouer Bach de façon trop sérieuse. Son visage austère me faisait croire que je devais jouer sa musique avec rigueur, sans enjouement. Mais mon bien-aimé professeur Toshiya Eto m’enseigna que “Bach était le compositeur de la mélodie”. Comme pour beaucoup d’autres de ses enseignements, il me fallut 20 à 30 ans pour comprendre ce qu’il voulait dire.
Un «Allegro Assai » bien rythmé terminait cette sonate .
Mais après... qu’allait-il se passer ?
Les applaudissements me conduisirent à jouer en bis la “Gavotte” .
Puis ce fut l’Andante de la seconde sonate que je n’avais plus joué ces derniers temps.
Et encore et encore …
S’arrêter de jouer aurait été incongru même si ce n’était qu’un concert après tout…!! Mais le temps ne faisait plus partie des priorités.
Je me suis rappelé que lorsque Maître Noguchi, le fondateur de Noguchi Seitai et de l’exercice Katsugen découvrit sa technique, il n‘avait pu s’arrêter pendant 3 jours. Etait-ce ce lieu qui me faisait ressentir cet état d’esprit ? Le temps n’avait plus de sens !
Je ne m’étais pas préparé à jouer plusieurs morceaux, mais j’aurais pu jouer phrase après phrase celles qui me venaient à l’esprit.
Pourquoi s’arrêter de jouer ? Terminer un concert ad libitum, ne serait pas une belle manière de conclure ?
D’habitude, une tension croissante naît dans les épaules en relation avec la première vertèbre thoracique.
Une cause probable de cet état pourrait être liée au fait que je n’utilise pas d’épaulière, cette pièce faite de bois et de métal. Sans elle, le violon a tendance à pendouiller. Dans le passé, les violonistes s’en passaient enseignés qu’ils étaient de ne pas l’utiliser. Par contre, mes étudiants aujourd’hui l’emploient dès leurs débuts. Leur demander de l’enlever ou imposer à des vieillards de manger sans leur dentier serait équivalent.
Le corps se modifie d’année en année ce qui influe sur la manière de l’utiliser. C’est normal.
Ceux qui jouent d’un instrument de musique doivent s’adapter à ces changements pour pouvoir continuer à le faire. Ce ne sont pas des chefs d’orchestre qui ne font que manipuler une simple baguette.
Les interprètes légendaires savaient comment utiliser leur énergie et relaxer leurs tensions. Un pianiste bouge tout son corps de haut et en bas. Il le pousse vers le haut en utilisant ses jambes. Un musicien qui provoque des torsions de son corps doit maintenir ses pieds fermement sur le sol.
“La plus grande audience” de la nouvelle année est un honneur qui me fut réservé lors de la première séance de Katsugen-Kai. Les personnes présentes semblaient être des personnes douées d’un pouvoir de concentration et d’une ouverture d’esprit à la musique. Partant, la musique que j’interprétais me semblait en parfaite symbiose avec le monde du “Katsungen”.
Le Katsungen a réactivé mon esprit et a fini par relâcher totalement mon corps, le débarrassant de tout stress.
Sans relâcher la tension, la concentration n’existe pas.
Aller de l’avant m’était à nouveau permis.
Alors “OK, allons-y.”
Vraiment, merci !
Bruxelles, janvier 2013