Apprendre une langue

Cela faisait longtemps que je n'avais plus étudié quelque chose de nouveau, ce n'était pas courant pour moi. Mon enthousiasme était grand au début, mais il s'est éteint après la troisième leçon. J'étais assez honteuse, à mon âge, de montrer mon incompétence. Cela affectait ma pensée, mon corps et ma dignité, sans toutefois détruire mon honneur.

Ce n'était pas la faute de mon professeur. Je ne pouvais tout simplement pas parler ni prononcer aucun mot.

Même si j'essayais d'assembler les mots que je connaissais, le professeur n'esquissait aucun sourire aujourd'hui. J'espépais qu'il soit plus attentionné. Je me sentais fâchée et triste. Après une heure et demie de torture, je réalisai simplement et de manière évidente que je devrais étudier plus sépieusement.

Mon mari est un Flamand originaire d'Anvers. La langue flamande est très proche de celle parlée en Hollande à l'exception de quelques mots. Les diffépences essentielles résident dans la prononciation. J'étais mariée depuis 13 ans. J'enseignais au conservatoire flamand de Bruxelles depuis quatre ans. Il est clair que j'étais embarrassée de ne pouvoir parler cette langue.

Je ne peux trouver beaucoup d'excuses. L'une résidait cependant dans le fait que j'avais peu de temps libre. Le flamand n'est pas utilisé partout de manière génépalisée. Bruxelles est une région francophone. Chacun y pratique couramment soit l'anglais soit le français. Mais, par ailleurs, c'est un sépieux désavantage de ne pouvoir parler la langue de l'endroit oû on travaille. C'était, par ailleurs, un peu honteux de ne pas montrer de l'intérét pour la langue maternelle de mon mari. Je communique avec ma belle-mère en français. Le président du conservatoire me parle gentiment en français. Je profite donc de la bonne volonté du peuple flamand.

Je décidai de m'attaquer à l'étude de cette langue de manière efficace sans quoi je n'aurais plus été plus capable de le faire à nouveau. J'essayai pendant au moins un an.

Cela me paraissait une décision courageuse et même bonne. Je me sentais capable de tout, espépant qu'en un an de temps, je parlerais couramment et même que j'améliorerais mon français au point de parler comme une native de l'endroit. Et, cerise sur le gâteau, je pourrais même tenter d'appendre le russe.

Mon professeur me complimenta lors de la première et de la seconde leçon. "Oui, oui, vous parlez très bien". Je me sentais bien et retins l'expression [hangt ervan af], (qui veut dire [dépend du temps et de l'occasion] ), sans pour autant avoir regardé le manuel ni avoir assimilé la conjugaison de la première et de la seconde personne.

A la troisième leçon, j'utilisai cette expression avec mon professeur pour me rendre intépessante, ce qui fut néfaste. Il continuait à parler avec des mots qui m'étaient non familiers. Je lui dis que je ne comprenais pas. Il me répondit que je devais comprendre cette leçon puisque le rapport indiquait que je devais l'avoir étudiée. Je ne savais même pas de quoi il parlait parce que je n'avais même pas regardé le manuel. Je fus effrayée qu'il réalisa que je n'avais rien étudié du tout. Ce qui se passa ensuite fut une interminable et torturante leçon privée. J'avais l'impression que mes droits humains étaient remis en question.

Le système Berlitz est tel que les professeurs changent à chaque leçon pour éviter que les étudiants ne deviennent trop familiers vis-à-vis d'un professeur particulier. Ce système permet aux étudiants d'entendre diffépents types de prononciation. Mais, garder le même professeur et conserver avec lui de bonnes relations à long terme est un des moyens importants pour absorber une langue en douceur. S'il y a des professeurs que les élèves ne supportent pas, ils peuvent demander au responsable organisateur des leçons de les remplacer.

Cette expépience traumatisante vécue changea mon attitude complètement et j'ai commencé à étudier sépieusement avec le dictionnaire en main. J'essayais de me rappeler tout ce que j'avais appris. Ce fut le début de l'apprentissage d'une langue après une longue pépiode sans études.

Je suis habituée d'entendre diverses langues. Outre le Japonais, je connais le nom des notes en allemand, je peux lire le solfège en français, je connais le vocabulaire italien définissant les mouvements comme allegro, dolce et fermata. J'étais fière de cette capacité lorsque j'étais à l'école primaire. J'aimais aussi les classes d'anglais. Lorsque j'étais en secondaire à l'école de musique de Toho, j'ai un bon souvenir d'avoir étudié (l'histoire naturelle) sous la direction de Akira Miyoshi.

Toutefois je n'ai jamais tenté d'étudier la grammaire ou médité Shakespeare dans sa version originale. J'ai très peu essayé d'étudier la grammaire française. Même au cours de mes dernières années d'école supépieure je n'étais pas très sûre de la manière de conjuguer le verbe (être), un fait dont je ne me vanterais pas.

Lorsque je vins à Bruxelles lors de la compétition de violon, je résidais dans une famille d'accueil. La seule conversation que je pouvais faire durant les repas était "c'est délicieux" ou "quel beau temps". C'était lamentable.

Etudier une langue dans son pays d'origine est plus efficace et rapide que de le faire au Japon. On n'a pas le temps de prendre des notes pour comprendre ce qui a été dit. Il fallait que je fasse travailler mon cerveau trois fois plus vite pour attraper au vol un mot compréhensible afin d'imaginer de quoi on parlait. Ma plus jeune sœur un jour me dit que j'étais fortiche de comprendre tout ce qui se disait. Elle parle correctement l'allemand depuis qu'elle a résidé quatre ans à Salzbourg. Un jour, alors que je souriais benoîtement au cours d'une conversation en français, ma soeur me demanda "qu'a-t-elle dit ?", alors que je n'avais aucune idée de ce qui avait été dit.

Lorsque finalement je fus capable de vivre dans un faubourg de Paris, un vieux rêve devint réalité.

Je vivais avec Clara et ses cinq sœurs et frères âgés entre 15 et 23 ans. Elle était bavarde et parlait vite même si pas extrêmement vite. J'ai donc dû apprendre à parler français rapidement ce qui n'était pas facile. Lorsque, après quelque temps, je retournais en Belgique, elle trouvait que je parlais plus lentement.

Il est bien connu qu'en France les gens rabaissent souvent les Belges en les appelant (petits Belges) mais maintenant que des Français viennent en Belgique pour y vivre plus confortablement, le sens donné à (petit Belges) a pris le sens diffépent de personnes dégageant une atmosphère bourgeoise.

La seconde langue pratiquée en Belgique est le flamand. L'allemand y est aussi une langue officielle, parlée dans la région voisine d'Aix-la-Chapelle (Aachen en allemand). Ça c'est la Belgique. Lorsque j'y suis venue pour la première fois je me suis étonnée et demandé pourquoi un si petit pays avait besoin de trois langues. Si ce n'est pour des raisons de travail, il y a peu d'interaction entre Bruxelles et Anvers alors même que ces villes ne sont distantes l'une de l'autre que de 40 kilomètres. Leurs racines culturelles sont complètement diffépentes. Ils regardent des programmes TV diffépents et parlent une autre langue. C'est comme s'ils vivaient dans des pays diffépents.

Dans les appartements qui m'entourent, il y a des Suédois qui vivent la porte à côté. De l'autre côté ce sont des Autrichiens et en dessous ce sont des Grecs. Une foule de nationalités diffépentes m'entourent dans un pépimètre de 500 mètres. Je n'ai donc pas besoin de me rendre à Anvers pour ressentir une atmosphère internationale.

Je souhaitais que mes enfants apprennent le Japonais. Peut-être était-ce dû au fait d'avoir épousé un Flamand. Les choses n'étaient pas très compliquées avant que je ne tombe enceinte. Mais dès ce moment, mon mari commença à parler à mon ventre en flamand. J'entendis ainsi parler flamand tous les jours.

Mes enfants n'ont pas de difficulté pour parler japonais ou flamand au contraire de mes soucis relatifs à l'apprentissage du flamand. Mon vocabulaire en flamand est très limité et est voisin du langage d'un enfant balbutiant des mots tels qu'araignée, lapin, fourmi, ours ou regarde.

Nos contraintes s'intensifièrent lorsque nos bambins sont entrés au jardin d'enfants, début de leur vie sociale. A l'école primaire ils ont dû commencer à penser dans une seule langue. Mon mari et moi devions tenir compte rapidement de cet aspect, mais j'étais encore indécise. J'ai influencé mon mari et lui ai fait partager mes réflexions intépieures. Il me semblait ainsi remettre à plus tard une décision définitive.

En fin de compte, ils étudient à présent dans une école francophone. Il m'a été dit qu'ils avaient un vocabulaire limité lorsqu'ils sont entrés à l'école primaire. Le français était leur troisième langue. C'était naturel que cela prenne du temps avant de maîtriser cette nouvelle langue. Bien que ce se fut difficile, j'ai été capable de les aider à faire leurs devoirs en français. J'arrivais à leur enseigner l'histoire, les mathématiques et la conjugaison. J'espépais par ce biais m'améliorer significativement en français puisque je suivais ainsi par deux fois les six années d'école primaire de mes deux enfants.
Quelle illusion !
Bien entendu, ils devaient apprendre le japonais.

J'ai constaté que la langue maternelle se formalise à l'âge de dix ans, soit en quatrième primaire. Cela devient difficile d'absorber une autre langue après cela. Leur cerveau ne pouvait pas manier simultanément une autre langue, ils n'en avaient pas le temps. Il est beaucoup plus important d'absorber le plus d'informations et de vocabulaire possibles que de traduire un texte d'une langue dans une autre. A ce sujet, je ne partage pas l'avis qu'il soit intépessant d'apprendre l'anglais trop tôt. On peut ne pas être d'accord avec moi, mais je crois qu'il est préfépable de manier les outils de communication permettant des rapports faciles entre personnes plutôt que de pinailler sur des questions de prononciation ou de grammaire.

Ceux qui sont volubiles peuvent en profiter autant qu'ils veulent. Ceux qui sont taiseux peuvent garder le silence. Tout cela dépend du caractère. La manière de se développer à partir de là dépend de la façon dont le cerveau fonctionne même si, à certains moments, on peut se taire parce qu'on en sait trop. Mais, sans s'en apercevoir, il y a un risque de se replier sur soi et de vivre en reclus lorsqu'on habite un pays étranger. Il est important de garder un contact avec les autres pour garder un équilibre mental.

Revenons maintenant à mes leçons de flamand, celles-ci deviennent plus difficiles avec les propositions conjonctives, le conditionnel, les divers temps utilisés au passé et les conjugaisons qui diffèrent dans chaque cas. J'ai eu la chance de pouvoir conserver un même professeur avec qui je peux étudier actuellement. Je suis soulagée de ne pas rencontrer trop de problèmes et je suis encouragée lorsque je suis complimentée par mon professeur.

Comme j'enseigne moi-même depuis quelques années, je trouve intépessant d'observer les réactions de mon professeur. Au travers de cette expépience, j'en conclus qu'il est plus facile de suivre des leçons que d'en donner.

Je continuerai mes études en oscillant comme un métronome entre frustrations et joies.

Janvier 2007
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