Cette semaine

Je me sens harassée en cette fin d'année. Peu de temps après mon retour du Japon, j'ai arrêté mes cours au conservatoire. Comme tous mes étudiants avaient progressé au cours de mes trois semaines d'absence, j'avais le sentiment de n'être pas indispensable en tant que professeur. Cette amélioration constatée pouvait suggérer que je n'étais pas un besoin incontournable pour eux. Toutefois l'enseignement comporte plus de choses qu'il n'y paraît à première vue.

Il y a des moments où mes étudiants ne progressent pas d'un iota alors que je passe des heures avec eux au cours de cinq semaines consécutives. Je me demandais parfois si mes capacités d'enseignante étaient à la hauteur. Toutefois, après un certain temps, tout se mettait en place, spécialement avec mes étudiants masculins qui subitement exprimaient tout ce que j'avais enseigné. C'est alors que je me suis rendu compte de l'évolution différente de chaque individu, chacun acquérant à sa manière ses capacités musicales. Il y a des périodes d'assimilation après les cours, cela ressemble au problème de résorption d'un ((jet lag)).

La question est de savoir en combien de tempstemps des étudiants peuvent assimiler et maîtriser leurs compétences? C'est réellement une question personnelle, même si une chose est claire, les étudiants ne progresseront pas s'ils ne travaillent pas. Ma mét hode d'enseignement est insistante, je les arrête sans cesse pour corriger leurs défauts.

La question est toutefois de savoir comment communiquer avec mes étudiants? Je dois avouer que j'ai beaucoup appris d'être la mère de deux enfants - depuis que j'étais enceinte jusqu'au moment où ils ont atteint l'âge de deux ou trois ans. Comme ils ne pouvaient parler, ils babillaient, je devais mユefforcer à les écouter très attentivement afin de pouvoir leur répondre et communiquer dans leur langage.

Je les prenais partout avec moi parce que je voulais être constamment avec eux. Mes enfants ont ainsi parcouru les continents en avions depuis qu'ils avaient atteint l'âge de trois mois. Pour qu'ils se sentent chez eux, je pouvais passer huit heures en tenant l'un d'entre eux dans mes bras en marchant dans l'avion. Mes compagnons de voyage étaient sympathiques. Mon mari et ma sœur m'ont été d'un grand secours. Avant ma maternité, je n'avais qu'à penser à mes propres bagages, mais après mes priorités devinrent mes enfants et les premières choses me venant à l'esprit lors de voyages étaient de rassembler de la nourriture pour bébé, des habits, des jouets et tous les objets indispensables. Les vêtements et les chaussures de marche étaient toujours mis ensemble. J'ai passé six ans à voyager avec ma fille jusqu'à son entrée à l'école élémentaire et ensuite deux ans supplémentaires avec mon fils.

Je pouvais jouer avec eux dans des bacs à sable creusant des tunnels, me lamentant intérieurement de ne pas travailler mon violon et de passer mon temps avec les enfants. Lors des étés chauds et humides au Japon, je faisais des promenades à bicyclette, transpirant de tout mon corps avec mes enfants grincheux, incommodés par le jet lag, l'un assis devant et l'autre derrière le vélo. La brise leur faisait du bien et les apaisait. Ils retrouvaient un sentiment de bonheur.

Mes robes d'été sans manches me forçaient à m'enduire les bras d'huile solaire ce qui me faisait ressembler à un ouvrier en bleu de travail. La nature de ma profession me laissait si peu de temps dans un endroit que, de temps en temps, comme un travailleur saisonnier, je devais laisser, mes enfants au jardin d'enfants. Pour abréger une si longue histoire, je dirais que, durant leur éducation, je me focalisais sur leurs besoins de mes enfants et qu'actuellement mes efforts constants tendent à savoir d'où viennent mes élèves et de quoi ils ont besoin.

Enseigner est semblable à éduquer des enfants et au rôle de conseiller. C'est chercher ce que mes étudiants peuvent et comment ils doivent interpréter. Ce sont des moments où j'ai besoin de concentration et d'intuition.

Evidemment, il y a l'aspect technique de la musique - pour enseigner les aspects fondamentaux - le style de chaque compositeur, les meilleures méthodes d'exécution, comment interpréter les partitions et comment en faire de la musique. La musique englobe tant de choses techniques. Mais lorsque vous devez enseigner ces techniques à un étudiant, la concentration est l'élément clef. Il est inévitable que chaque étudiant soit un être unique et nécessite des techniques d'apprentissage particulières mais c'est, par moment, très épuisant.

Après une vingtaine d'années, je peux maintenant apprécier et exprimé mon respect sincère vis-à-vis de Toshiya Eto ainsi qu'à tous mes professeurs pour leur infinie patience. Il y a des moments pendant lesquels la chimie entre mes étudiants et moi ne fonctionne pas. Trois semaines sans contact avec eux peuvent faire du bien mais pas toujours. Tout dépend du comportement humain. Lorsque j'étais étudiante mon professeur Toshiya Eto me dit un jour ((je ne peux enseigner qu'une personne à la fois à un moment donné))

Une Master class peut avoir des effets positifs, mais des progrès mutuels ne peuvent être atteints que lors d'entretiens en tête-à-tête se déroulant sincèrement entre les parties. Ce sont ces périodes qui sont les plus productives. Bien que j'aie commencé à professer depuis peu, je bénéficie de l'expérience acquise en m'étant consacrée à l'éducation de mes enfants en bas l'âge avant d'avoir eu à enseigner.

Ceci pourrait laisser croire que ce qui m'a formé est mon rôle de mère. Mes enfants sont en meilleure santé qu'avant mais je dois admettre que leur mère leur a manqué et qu'ils se sont parfois sentis seuls. Ma fille vient d'entamer l'école secondaire et mon fils est en 5è année primaire. J'ai dû les quitter pour une tournée de concerts au moment où ma fille entrait dans sa nouvelle école. Cela a surpris ses condisciples qui se demandaient comment elle pouvait se débrouiller toute seule.

On dit souvent que les jeunes n'ont que de petits problèmes et que les problèmes grandissent en vieillissant. Je suis concernée par leur devenir, tel leur examen d'entrée à l'université et je me demande s'ils seront capables de consacrer suffisamment de temps aux études. Bien sûr, beaucoup de questions sociétales pourraient se poser alors que nombre d'entre elles seront incontrôlables et je peux imaginer qu'elles seront difficiles à résoudre. Ces questions, à mon sens, ne seront toutefois pas aussi difficiles à résoudre que celles que j'ai rencontrées avec mes enfants étant bébés. Je réalisai alors combien il avait été important d'utiliser mon intuition pour deviner les besoins des enfants. Comparant avec ces années au cours desquelles, voyageant à travers les continents, je me demandais si les enfants supporteraient ou non le voyage, je suis persuadée qu'aucun problème futur ne pourrait être aussi crucial.

Lorsque nous sommes à la maison, les devoirs d'école des enfants induisent des appels continuels à "Maman" sans qu'ils ne se préoccupent de mes programmes de concerts. J'aurais pu répéter le matin lorsqu'ils dormaient en mettant une sourdine au violon. Quand mon fils se serait réveillé, je l'aurais mis sur mes genoux et aurais continué à jouer. Mais alors je n'aurais plus pu bouger parce qu'il se serait endormi sur mes genoux. Il fut un temps où dans un avion, mon époux ne pouvait plus bouger pendant 10 heures parce qu'un de nos enfants dormait sur son ventre comme s'il était sur un matelas. Plusieurs fois après avoir bien dormi les enfants se réveillaient de bonne humeur, alors que, complétement épuisés, nous devions pousser la voiturette d'enfants. Je suis certaine que chacun de vous a connu pareille expérience.

Mes enfants ont toujours été calmes lorsque je travaillais à la maison - je répétais toujours dans le living, même lorsque j'étais enceinte, de manière à pouvoir passer un temps précieux avec eux. Quand je joue du violon, les enfants mettent des écouteurs et commencent à regarder la TV ou à faire leurs devoirs. C'est un tel luxe pour moi de pouvoir être avec eux.

Hier, mes enfants ont assisté à mon concert à Paris. Ce concert d'avant Noël se déroulait à la salle Gaveau, salle d'accueil de nombreux virtuoses en concert. Mes enfants avaient pris un demi-jour de congé parce que je souhaitais leur présence. Actuellement ils ne sont plus tellement intéressés par mes concerts. Ils y assistent rarement pendant la saison musicale. Beaucoup d'amis et d'invités étaient venus de loin à ce concert et je fus particulièrement émue de la présence de Martha Argerich qui s'était empressée d'y venir en partant de Bruxelles. L'exécution avec Jean-Marc Luisada fut palpitante. La musique est vraiment une créature vivante.

Aujourd'hui, lendemain de mon concert, mes enfants et moi avons grimpé au sommet de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Je pouvais à peine suivre mes enfants tant ils étaient rapides et vifs. Constatant avec plaisir combien ils avaient grandi, je gagnai le sommet de la cathédrale et je fus soufflée par la vue sur Paris. Montmartre s'étalait largement au pied de sa butte. Ma fille, Michiko, trouva que la nostalgie de ce paysage devait refléter le berceau de Paris et qu'il resterait plus que probablement ainsi pour l'éternité. Les sculptures m'impressionnaient par leur attitude humaine et la force de l'art qu'elles exprimaient. Je me demandais par qui et comment avaient été taillées ces personnages extraordinaires. Au son des cloches, mon fils m'interpella et les enfants se précipitèrent dans les volées d'escaliers suivis par leur mère essoufflée.

Heureusement, cette année fut une bonne année.
Après avoir commencé à écrire à propos de mes étudiants, je finis en vantant mes enfants. Je dois dire que je les adore !

21 Décembre, 2006
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